Tenter de justifier le statut de philosophe d’Albert Camus, c’est admettre qu’il existe une critique à laquelle il faut répondre. Sur le plan stratégique, c’est déjà une erreur, sans être nécessairement une erreur de jugement. Vouloir faire entrer toute la pensée camusienne dans le cadre strict du philosophe n’est pas seulement une perte de temps mais un non sens. Enfin considérer que l’agrégation en philosophie puisse donner le statut de philosophe, c’est une aliénation intellectuelle. L’agrégation ne justifie que ce qu’elle est, à savoir, absolument rien sur le plan de la recherche et une nécessité pour enseigner dans le secondaire, ce qui correspond dans le cas de la matière « philosophie » à un enseignement en classe de terminale. Voilà le comble de l’humour puisque pour ne plus être accusé d’être un philosophe de terminale, il faut prouver que l’on puisse enseigner la philosophie dans cette même classe ! Pourquoi ne pas utiliser l’analogie de la définition de mathématicien de Jean Dieudonné, à savoir qu’un mathématicien est une personne qui a un doctorat en sciences, spécialité mathématiques, et une publication après ce dernier. Dans ce cas combien de philosophes professionnels seraient-ils considérés comme philosophes ? Il est inutile de répondre à cette question puisqu’elle n’existe que pour démontrer l’ineptie du critère précédent. En réalité, le véritable problème est encore plus simple et il peut s’énoncer avec une autre question tout aussi absurde. Socrate était-il un philosophe ? D’ailleurs, l’analogie n’est pas dénuée d’intérêt car il est certain que ce dernier n’était certainement pas considéré comme tel par l’ensemble de la profession des rhétoriciens. Faut-il préférer Protagoras à Socrate comme c’est prétendument le cas avec Jean-Paul Sartre et Albert Camus, en raison de la technicité en matière philosophique, ou encore Karl Marx à Joseph Proudhon. S’il existe une entité pour pouvoir juger et trancher, ce ne sont certainement pas les sociétés qui ne sont que des phénomènes de mode passagers par nature, mais l’humanité elle-même, qui est diachronique par nature. Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus n’est pas une philosophie de la révolte mais bien une révolte philosophique. Il ne s’est pas accaparé de la technique philosophique pour créer une œuvre qui se prétend universelle mais à partir de la philosophie elle-même il a exprimé un courant de pensée qui n’est pas seulement une révolte contre l’absurde mais une véritable révolution humaine contre des sociétés du hasard, sans nécessité, à la recherche du bonheur au détriment de la liberté. Tel est l’apport d’Albert Camus.
De N. Lygeros
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